« Papa, papa, réveille-toi, Jeannôt a un cancer du cerveau. » Ces quelques mots prononcés dans la panique par ma fille, ma belle et généreuse Marie-Christine, par ce beau lundi matin de février 2018, ont complètement transformé ma vie.
Mais, cela je l'ignorais tout comme j'ignorais la très grande quantité de soins que son état allait nécessiter de la part de multiples spécialistes, l'immense solitude qui serait mienne à travers cette épreuve, les rivières de larmes qu'entraînerait la dégradation de son état mental et les multiples conséquences de la pandémie de Covid, lesquelles m'empêche-raient même de la visiter lors de ses nombreux et longs séjours à l'hôpital. En fait, j'ignorais tout de ce que serait ma vie avant mais également après son décès survenu le 19 novembre 2020.
Le pire de tout, c'est que j'ignorais la tristesse, la colère et le mépris de moi-même, bref la culpabilité, que son départ m'occasionnerait lorsque j'ai pris conscience, au fil des jours, que je ne lui avais pas suffisamment dit que je l'aimais et que j'admirais la magnifique personne qu'elle était.
Ma Jeannôt disait que dans un couple, il y en a toujours un qui aime plus que l'autre. De toute évidence, dans le nôtre, c'était elle. Pour commencer, j'avoue que Jeannôt n'était pas encore décédée que je montrais déjà un certain intérêt envers la préposée à l'accueil du Centre de soins palliatifs. « Quel salaud» direz-vous et vous aurez bien raison selon les critères de la bonne société. Mais, car il y a toujours un mais. Dans mon cas, c'était la peur de me retrouver seul, la peur de survivre, la peur de ne pas survivre, la peur du vide et de l'absence comme le dit si bien la chanson.
Contrairement à certains couples, Jeanne et moi avons très peu échangé sur sa maladie. Je pense toutefois qu'elle en a discuté avec sa sœur dont elle était la plus proche. Sauf ce fameux jour où, n'en pouvant plus, je lui ai demandé comment ça faisait de savoir que l'issue de sa maladie était mortelle. Forte de sa très grande sagesse, elle m'a alors répondu : «Au début, je me demandais pourquoi moi? Aujourd'hui, je me dis pourquoi pas moi!» J'ai alors bien reconnu la grande force qui l'a animée tout au long de sa vie. Respect.
C'est au bord de l'épuisement et en larmes que je me suis adressé à une ressource de mon CLSC après plusieurs mois de soins à domicile à Jeannôt, dont la situation allait constamment en s'aggravant, particulièrement en matière d'hygiène. Rapidement, la décision fut prise de me donner une semaine de répit en dirigeant mon épouse vers un CHLSD pour une ou deux semaines.
Malgré une bonne volonté générale, il s'est vite avéré que le personnel du CHLSD n'était pas en mesure d'assurer la sécurité de Jeannôt. Hors de ma présence, une première chute nécessitant un transport hospitalier a rapidement été suivie d'une seconde beaucoup plus lourde de conséquence. Diagnostic du médecin traitant: la situation de Jeannôt nécessitait la mise en place d'une procédure de fin de vie.
Ce commentaire coup de poing a naturellement remué considérablement les émotions, les miennes comme celles de mes enfants. Et ce, d'autant plus qu'il a été convenu que je me devais d'expliquer la situation à Jeannôt bien qu'elle savait depuis le tout début l'issue mortelle de sa maladie. Cette conversation s'est déroulée dans les larmes, peut-être la seule fois où elle a pleuré en ma présence.
Après plus de deux mois et demi au Centre de soins palliatifs, le temps est venu de faire nos adieux en présence de nos trois enfants. Sachant ce qu'elle aurait voulu, j'ai demandé, la veille de son décès, à ce qu'elle reçoive l'extrême-onction, ce qui fut fait en présence de sa préposée aux bénéficiaires préférée, Jeannick Fournier. Elle a chanté a cappella la chanson préférée de Jeannôt, « Le cœur est un oiseau». Les heures suivantes n'ont été comblées que de caresses et de mots doux.
Le lendemain après-midi, vers 16 heures, épuisé et étant convaincu que son départ n'était pas imminent, j'ai dit à mes enfants que je voulais aller à la maison prendre une douche et me sustenter. Je me préparais à quitter lorsque Jeannôt s'est mise à gémir. Prenant cela comme un appel à demeurer sur place, j'ai pu assister une trentaine de minutes plus tard à son grand départ.
Au global, disons simplement que je m'en suis occupé le mieux possible tout au long de sa maladie ce qui, après tout, ne surprendra personne après presque 50 ans de mariage. C'est en effet le jour même de ce qui aurait été notre cinquantième anniversaire de mariage, soit le 12 juin 2021, qu'accompagné de mes enfants, parents et amis, j'ai mis en terre les cendres de celle qui fut ma compagne, ma maîtresse, ma douce amie pour toujours et pour l'éternité.
François Lapointe